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Photo du rédacteurCréateurs de cérémonies

Celui qui voulait chanter

Par Mona


Ce qui rend un moment remarquable, c’est la multitude de détails prodigieux qui le composent, pour offrir finalement une harmonie des sons, des gestes, des mots. 

Notre travail d’accompagnement et de création nous invite à inventer et ré-inventer encore et encore, pour chaque couple, pour chaque histoire, les bons détails, les bons ingrédients, ceux qui composeront la formule parfaite, celle qui ne peut aller qu’à ceux-là. 


Dans une cérémonie, tout est possible, nous ne le répéterons jamais assez. 

Tout est possible si nous gardons le sens des choses au milieu de tout.


Il était donc ce Papa qui parle peu, voire pas. Ce marin Breton, vieux loup des mers du Nord, habitué à la discrétion des poissons, au clapotis des vagues, au silence, à l‘attente et à la solitude.


Et lui, ce fils aimant, admirateur secret de son exemple paternel qui rêvait au fond de lui que son père lui glisse quelques mots en ce jour si important de sa vie.


Pour moi, le discours était posé, le futur marié s’en était chargé : « Je rêve que mon père prenne la parole durant la cérémonie, mais c’est peine perdue ! Jamais il ne prendra le micro en public ! Nous nous parlons déjà peu, il est trop pudique, intime et réservé pour ce genre de choses, laisse tomber ! »





Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité et vérifier, secrètement toujours, si les « portes de l’océan » étaient vraiment closes ; un appel à Mr M s’imposait. 


Sans surprise et avant que je n’arrive au bout de mon fameux argumentaire bien rodé déjà, la réponse fut plus tranchante que jamais et l’appel le plus court de l’histoire des appels aux proches : « Non, non, non merci pour votre appel, ça n’arrivera pas, jamais je ne ferais de discours devant des gens. Bonne journée à vous. » Bip…Bip…Bip….


Accordés avec le couple que mes petites prospections auprès de leurs proches devaient rester secrètes jusqu’au jour J pour garder le maximum de surprises et de spontanéité durant la cérémonie, je ne ne fus pas obligée de leur raconter mon super échange avec Mr M !


Et ce n’est que deux semaines après mon échec que la surprise se produisit. 


Un appel … de Mr.M. Très peu de mots toujours mais l’essentiel était là : « Bonjour, c’est Mr M, le papa d’E. Je ne veux pas parler pendant la cérémonie mais j’aimerais chanter, c’est possible ? Voilà, y’a cette berceuse de marin que je chantais à mon fils bébé et enfant pour l’endormir, j’aimerais chanter ça. » 

A ce moment là, je suis déjà émue par l’idée et honorée de son appel, je me dis que j’ai bien fait d’être curieuse et qu’il va définitivement se passer quelque chose de précieux et de très beau.

« Bien sûr Mr M que vous pouvez chanter ça, c’est super ! Envoyez moi votre texte. »


Lors de notre première vraie rencontre avec Mr.M quelques minutes avant le début de la cérémonie, il est venu me confier qu’il avait mal au ventre et qu’il n’allait peut être pas réussir à chanter. Nous sommes restés un moment ensemble et j’ai visiblement réussi à trouver les mots dont il avait besoin pour faire s’envoler les papillons de ses entrailles.


Le moment était là, sans plus de mots que cela, à la manière de Mr.M, je l’ai simplement invité à se lever et à nous rejoindre, et sans aucune introduction toujours, la voix grave, posée, sereine de Mr.M ; les premiers mots de la berceuse s’élevaient dans les airs…


Dans la côte à la nuit tombée « On chante encore sur les violons Au bistrot sur l'accordéon C'est pas la bière qui t'fait pleurer Et l'accordéon du vieux Joe Envoie le vieil air du matelot, Fout des embruns au fond des yeux, Et ça t'reprend chaqu' fois qu'il pleut. 

Mon p'tit garçon mets dans ta tête Y'a qu'les chansons qui font la fête Et crois-moi depuis l'temps qu'je traîne J'en ai vu pousser des rengaines De Macao à la Barbade Ça fait un' paye que j'me balade, Et l'temps qui passe a fait au vieux Une bordée d'rides autour des yeux. »




C’est à ce moment là que j’ai moi aussi accepté de laisser l’émotion retenue jusqu’alors s’échapper, en pleurant à mon tour. 


J’en ai encore la chair de poule aujourd’hui en écrivant ces lignes. 


Un instant suspendu. 

Un moment de grâce. 

Un cadeau partagé. 

Une victoire de l’émotion. 


Un détail prodigieux dans un moment remarquable.



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